Un dentiste genevois et sa femme partent à l’autre bout du monde pour soigner gratuitement les plus démunis
A 15 ans, Sandrine rêvait d’une famille nombreuse et d’aide humanitaire. Denis, lui, aspirait à un métier manuel avec la possibilité de soigner les autres. Devenus respectivement chanteuse lyrique et dentiste, tous deux parents divorcés, ces Genevois se rencontrent lors d’un congrès il y a vingt ans. Unis par un coup de cœur et des aspirations communes, les époux Honegger s’engagent dans l’action humanitaire en 2012. Après des missions en Birmanie et en Haïti, ils lèvent l’ancre dans quelques jours pour le Bénin, leur troisième mission avec l’organisme humanitaire Mercy Ships, après le Congo et Madagascar.
Lors de votre première mission, en Birmanie, quel a été votre sentiment en tant que bénévoles débutants?
Denis Honegger (D.H.): L’indignation, lorsque j’ai constaté que les dentistes locaux faisaient du business en traitant des patients privés avec les fonds suisses destinés aux soins des orphelins.
Sandrine Honegger (S.H.): J’ai ressenti du désarroi devant l’ampleur des besoins, que l’on ne pouvait pas tous satisfaire.
Pourquoi avoir rejoint Mercy Ships en 2013 ?
D.H.: Nous étions très impressionnés par la qualité sécuritaire et organisationnelle de cette institution. Mais également par sa capacité à offrir des opérations chirurgicales, pratiquées à bord de ses navires où sont logés tous les bénévoles.
S.H.: Le fait de devoir payer, en tant que bénévole, tous ses frais (vaccins, billets d’avion, couchette à bord du navire, etc.) pour partir travailler gratuitement à l’autre bout du monde est finalement une condition qui permet de réunir des personnes ayant les mêmes valeurs. Et cela facilite beaucoup l’entente entre les gens.
Qu’est-ce qui vous est le plus pénible lors de vos missions ?
D.H.: Je suis à chaque fois frustré de devoir extraire les dents abîmées des enfants, que je pourrais sauver s’ils étaient en Suisse. Mais l’impossibilité du suivi médical et leurs conditions sanitaires désastreuses m’obligent à faire ce choix pour leur éviter les complications et la septicémie futures.
S.H.: Constater que la pensée européenne du long terme est complètement inopérante dans ces environnements où les gens vivent au jour le jour.
Quelles sont vos priorités professionnelles en mission ?
D.H.: Les patients veulent des solutions immédiates contre la douleur, qu’ils traînent depuis longtemps. Dans ces conditions, les traitements doivent, souvent, être radicaux.
S.H.: Formée à l’assistanat dentaire par mon mari, je suis chargée de recevoir les patients et de les installer. Beaucoup ont marché pendant des jours pour arriver jusqu’à nous. Alors, les regarder dans les yeux, les toucher, les appeler par leur nom sont des gestes simples mais indispensables pour leur rendre leur dignité, bafouée par la misère.
Comment gérez-vous vos émotions face à ces situations dramatiques ?
D.H.: Je me dis que j’ai de la chance d’avoir un métier très recherché et qu’en l’exerçant j’aide plus que si j’étais resté en Suisse en faisant juste un don.
S.H.: En mission, je m’isole tous les jours quelques minutes pour pleurer. Cela me permet d’évacuer le trop-plein d’émotions provoquées par l’état et les difficultés des patients.
Durant vos voyages, quel est le cas qui vous a le plus marqués ?
S.H.: Au Congo, celui d’un jeune homme emprisonné à qui on avait demandé la date de sa sortie. Ses dents, à condition d’être soignées rapidement, pouvaient encore être sauvées. Il nous avait répondu: «Je ne sais pas. Cela fait cinq ans que je suis en prison et je n’ai pas encore été jugé.»
D.H.: C’est celui d’un Chinois, emprisonné à Pointe-Noire (Congo), qui refusait catégoriquement que je lui enlève sa couronne pour soigner sa dent qui lui faisait très mal. Il voulait absolument garder sa couronne, alors qu’il était condamné à mort. La situation était à la fois triste, cocasse et tellement humaine. Même le dos au mur, on ne cesse de se projeter dans l’avenir. Parce que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.
Anna Aznaour, 17.09.16